Notre Famille au XXème siècle

Lettres de, et à Alberte Pollissard

Alberte Pollissard a écrit à son père, à son institutrice "Mademoiselle" et reçu des lettres de sa mère Marie-Louise Nivart-Vaudrey, épouse Pollissard.

Lettre d'Alberte à son père

Mon cher Papa,

J'espère que tu te portes toujours très bien. Françoise, la cuisinière de tante Marguerite, est arrivée hier au soir, elle nous a apporté de jolies décorations. Et une lettre que m'avait écrite Geneviève. Le petit bébé que tu m'as envoyé s'appelle Augustin-Charles mais on l'a surnommé Baby; je m'amuse beaucoup avec lui car Jean est encore cassé, Bonne Maman m'a donné un joli poupard pour le remplacer. Les soldats que tu as donné aux petites ont été baptisés, celui d'Ellen Jean et celui d'Andrée "Gustin". Le bateau de Jacques a reçu également un nom. Il se nomme "en Avant"
Je fais tous les jours une prière pour que tu reviennes bien portant, que les Français soient vainqueurs et la guerre pas trop longue, j'espère qu'elle sera exaucée.
Je t'embrasse de tout cœur, mon cher Papa et je t'envoie tous mes souhaits de bonne santé.
Ta petite fille qui ne t'oublie pas.
Alberte

Lettre d'Alberte à son père

Mon cher Papa,

Je n'ai pas oublié que c'est vendredi prochain ta fête : ne pouvant t'embrasser ce jour, je t'envoie tous mes vœux de bonne santé.
Dimanche dernier, nous avons été en barque avec Bonne Maman, Bernard sait très bien ramer, j'ai toujours peur qu'il se laisse entraîner. Après le goûter, nous sommes allés à pieds à Baigneux où nous avons acheté des gâteaux.
Hier Andrée a eu un peu mal au cœur mais aujourd'hui c'est passé et elle est complètement remise. Lorsque je lui demande où tu es, elle me réponds « A Dujon » et quelquefois « A Guerre ». Nous avons un temps très agréable, il ne fait ni trop chaud ni trop froid, hier le ciel était tout bleu, mais aujourd'hui le temps a l'air de se gâter. Je t'embrasse de tout cœur mon cher Papa.
Ta petite fille qui t'aime bien
Alberte

Lettre d'Alberte à "Mademoiselle"

Chère Mademoiselle,

Je me demande où vous êtes, vous êtes sans doute dans votre pays ; j'espère que vous vous portez bien.
Vous savez que nous sommes à Cessey, nous sommes tous en bonne santé. La pauvre Andrée a eu de nombreux boutons, mais maintenant c'est fini.
Papa est encore à Dijon, Maman a pu aller le voir plusieurs fois. Ce pauvre Papa pense toujours beaucoup à nous, il nous a tous gâtés. Andrée et Ellen ont eu deux jolis soldats, Jacques un bateau à mécanique et moi un ravissant bébé avec son trousseau.
Nous n'avons pas très beau temps, hier il a plu à torrents vers le soir et toute l'après midi le temps a été menaçant et aujourd'hui ça a l'air de recommencer.
Nous avons beaucoup travaillé pour les soldats, Bonne Maman et tante Marguerite ont fait des chemises, Maman des chaussettes, et moi j'ai fait les manches des chemises.
Je vous embrasse de tout mon cœur chère Mademoiselle.
Votre petite élève
Alberte

Lettre d'Alberte à son père

veille de mes 13 ans

Mon cher Papa,

Je te remercie de ta lettre, je n'oublie jamais de prier pout toi et tes soldats. Dimanche dernier nous avons été à un pèlerinage, on s'est réunis à la ferme de la Corvée puis de là on a été en procession jusqu'à Notre-Dame du Val de Seine ; c'est une toute petite chapelle située dans un charmant site au milieu des bois. Andrée a eu un peu d’entérite, hier elle n'était pas bien du tout mais aujourd'hui elle va beaucoup mieux.
Tante Marguerite qui était partie mercredi dernier à Paris est revenue hier au soir. Elle a été voir l'oncle Étienne qui est passé à Paris parce qu'il a demandé d'être engagé dans le génie. On l'a envoyé à Avignon.
J'espère te revoir en bonne santé et en attendant ce moment je t'embrasse de tout cœur.
Ta petite fille qui pense toujours à toi.
Alberte.

Lettre de Marie Louise à sa fille Alberte

Ma chère petite Alberte,

Hier, nous avons fait une jolie promenade à travers bois, où j’ai découvert des tapis de muguets embaumés. Du mamelon sur lequel nous nous trouvions, la vue s’étendait jusqu’au fameux bois d’Ailly. La Meuse coule dans la vallée et rend le pays humide et froid. Bonne Maman m’a laissé un tricot qui me rend grand service, sans ce précieux vêtement, je serais complètement gelée. Si les autobus ont quitté Paris, ils ne manquent pas dans le petit village qui nous abrite. Il y en a toute une file sous nos fenêtres, ces voitures, peintes maintenant en gris servent au ravitaillement en viande fraîche pour l’armée.
Nous occupons une grande chambre chez une brave dame de la localité et prenons nos repas à une centaine de mètres d’ici chez une paysanne qui a dû être cuisinière autrefois, car elle nous confectionne des menus très soignés.
Ton papa pense beaucoup à vous mais est trop fatigué pour vous répondre, il n’écrit à personne et me charge de vous embrasser tous les quatre bien fort. Jacques est-il raisonnable ? Andrée et Ellen ne font-elles pas enrager leur nounou ?. Je ne rapporterai des poupées qu’à des petites filles modèles. Le major qui soigne papa, doit aller ces jours-ci à Nancy et m’a proposé de m’y acheter les poupées commandées, ici, les boutiques font tout à fait défaut.
J’espère que le cours a bien marché avant hier, travaille le mieux possible, demande à bonne maman de t’aider si quelque chose t’embarrasse.
Je te charge d’embrasser frère et sœurs pour moi ma grande chérie et je t’envoie mille bien tendres baisers
Ta maman
J’écrirai demain à Jacques.

Lettre de Marie Louise à sa fille Alberte

Ma chère grande,

Tes lettres des 18 et 19 me sont arrivées hier, franchissant très vite la distance qui nous sépare. Je les ai lues avec grand plaisir et ai constaté avec satisfaction que le résultat des était bon.
Ton papa se sentant très fatigué, n’a pas voulu quitter sa chambre hier malgré le beau temps. Il a tellement vécu en plein air qu’il préfère maintenant rester entre quatre murs. Ayant somnolé une partie de la journée, il a mal dormi cette nuit malgré le bromure ordonné par le docteur. De plus, il ne mange presque pas. Les fatigues accumulées l’ont complètement détraqué. Plusieurs paquets que j’avais adressés au secteur 54, nous ont retrouvés hier à Sorcy. J’ai donné à notre brave propriétaire deux boites de gâteaux et des tubes de liqueurs et de citronnade, elle en a été enchantée. Les cerises contenues dans la boite en fer blanc étaient délicieuses et nous ont servi de dessert.
Le soleil brille, la musique militaire a déjà joué égayant aussi notre petit village.
Si tu t’ennuies un peu de ta maman, dis-toi pour te consoler qu’elle est bien heureuse d’être auprès de ton cher papa après cette si affreuse séparation. Et nous nous reverrons bientôt car je compte passer par Paris avant d’aller le rejoindre ailleurs.
Je t’embrasse bien fort ma chérie ainsi que toute la bande.
ML

Lettre de Marie Louise à sa fille Alberte

Ma chérie,

Votre papa a confectionné hier trois cocottes pour ses trois filles (Alberte, Ellen, Andrée), vous les trouverez dans cette enveloppe. Il n’a pas voulu en faire une quatrième trouvant qu’un garçon (Jacques) ne s’amusait pas avec des petites bêtises semblables. Cette réflexion, je pense, ne te choquera pas.
Veux-tu dire à Cécile et à Louise que je rentrerai à la maison mercredi soir vers 8 heures et demie, je crois. Louise voudra bien me garder quelque chose pour dîner. Ton papa quittera sans doute Sorcy vendredi et ne sera fixé sur sa nouvelle résidence qu’à Neufchâteau. Je vais sans doute passer quelques jours avec vous avant d’aller le retrouver. Il est toujours d’une extrême nervosité, et le nombre incalculable de militaires qui encombre le village l’empêche de se reposer vraiment. Hier soir, la retraite a été accompagnée par le carillon du clocher, ce matin, dès six heures, la musique du régiment recommençait à jouer ; c’est te dire que le calme et le silence sont choses inconnues à Sorcy. A six heures et demie, la messe était dite par un soldat, j’y ai bien pensé à vous tous. Venez tous les quatre dans mes bras mes chéris que je vous couvre de tendres baisers.
ML